« À présent, il me faudrait un bon paragraphe pour expliquer ce qui, d’après moi, aurait besoin d’être porté en faveur de la mutation. Mais le fait est que je n’ai pas les idées très claires à ce sujet. Je sais qu’il y a forcément quelque chose, mais quoi, c’est difficile à dire, en ce moment même, avec exactitude. Difficile. L’unique chose qui me vient à l’esprit est, de nouveau, une page de Cormac McCarthy. C’est tout à la fin du livre que j’ai déjà cité dans les épigraphes, vous vous rappelez ? L’histoire du shérif et du tueur. “ Qu’est-ce qu’on dit à quelqu’un qui n’a pas l’âme pour sa propre reconnaissance ? ” Vous vous rappeler ? Bien. Ce livre est définitivement sans le moindre espoir, paraît être la reddition inconditionnelle à une mutation saccagée, sans nul espoir, sans la moindre voie de sortie. Pourtant, à un moment donné, le shérif vient à passer près d’une chose étrange, une sorte d’abreuvoir creusé dans la pierre à coups de burin. C’est à la toute dernière page. Il voit l’abreuvoir et s’arrête. Et le regarde. C’est une chose de deux mètres de long, large de moitié et profonde d’autant. Dans la pierre, on voit encore les traces du burin. Ça doit être là depuis un siècle ou deux, dit le shérif. Aussi, ajoute-t-il, j’en suis venu à penser à l’homme qui l’avait fait. Il s’était posé là, avec une masse et un burin, et avait creusé un abreuvoir qui aurait pu durer dix mille ans. Mais pourquoi ? En quoi croyait ce type ? Vous devez garder à l’esprit qu’à ce moment-là le shérif est véritablement à bout de forces, ne croit plus en rien, est sur le point d’enfermer son étoile dans une boîte pour toujours. C’est ainsi que vous devez vous l’imaginer. En même temps, il se demande pourquoi diable quelqu’un devrait se mettre à creuser un abreuvoir de pierre avec l’idée de fabriquer une chose qui durerait dix mille ans. En quoi doit-on croire pour avoir des idées pareilles ? En quoi croyons-nous pour avoir encore cet instinct aveugle de mettre une chose en sûreté ? McCarthy écrit : “ Je pense à ce type, assis, là, avec sa masse et son burin, peut-être une heure ou deux après le repas du soir, je ne sais ; et je dois dire que l’unique chose qui me vient à l’esprit est qu’il avait une sorte de promesse au fond du cœur. Je n’ai pas la moindre intention de me mettre à creuser un abreuvoir de pierre, mais il me plairait d’être capable de faire ce genre de promesse. C’est la chose qui me plairait le plus au monde. ” »

 

Il n’est pas sûr que celui qui a creusé cet abreuvoir ait eu dans l’idée

de réaliser une chose promise à l’éternité. Il l’aura creusé, tout simplement