Inaccessible convient assez bien
à La Tête que je viens de terminer. Je pense que je
n'ai jamais lu un livre aussi curieux, aussi déroutant. Qu'en
dire sinon que je suis tout à fait incapable d'en dire quoi que
ce soit ? Irracontable. Tout d'abord parce qu'il n'y a pas
d'intrigue à proprement parler, mais plutôt une succession de
scènes, d'événements, un télescopage d'épisodes et de
personnages ; ensuite, parce que je ne suis pas du tout sûr
de savoir de quoi il retourne dans ces quatre cents pages. Qui est
qui ? On retrouve les mêmes personnages d'un bout à
l'autre, mais en constant mouvement et changement ;
changement de fonction, de comportement, de situation. En vérité,
seuls leurs noms restent identiques. Mais le
premier ne passe-t-il pas sous le chapeau du deuxième, et le second
ne prend-il pas le manteau du troisième ? Qui est qui et
qui fait quoi ? Et quelle est cette tête ? Celle de
l'auteur ? sa tête dans laquelle se seraient enchaînés
spontanément les événements qu'il a transcrits tels qu'ils lui
étaient apparus ? (mais rien de surréaliste en ce sens) Je ne
sais pas. Je nage. Et étant dans le flou le plus complet, je me
suis rabattu sur la quatrième de
couverture : ils n'en savent pas davantage que moi...
Rêverie, délire, songe ? Ça tient des trois, et c'est
tout aussi impalpable, inexplicable, incernable. Alors, il n'y a
qu'à accepter et se laisser aller. Mais ce n'est pas aussi
simple que cela, car je sens l'intention, je sens l'existence
d'un fil, d'une ligne, d'un sens. Mais quel est ce sens ? et
qu'est-ce qui peut me permettre de le trouver, ou pour le moins
de le deviner ? Il y a bien quelques indices, dont le
principal qui ouvre le livre et que l'on retrouve à maints
endroits, mais eux-mêmes sont truqués. Alors ?...
Dire que j'ai aimé, je ne le peux. J'ai aimé des passages,
d'autres m'ont un peu lassés, agacés. Mais du tout, que puis-je
dire ? Que puis-je dire de quelque chose qui m'a glissé entre les doigts ?
Ça s'appelle La Tête,
c'est d'Ernst Augustin.
Je recherche désespérément un autre lecteur afin de pouvoir en
discuter...
20 octobre 1990 (courrier à B***)