Francko intervient et envoie à Guy
%comment les créatures suivantes, génies jumeaux créatures d’eau, en forme trouble de personne et de serpent, représentaient le couple parfait. Et par ses huit membres, son chiffre était huit, symbole de la parole. Je les ai regardés, j’ai compté leurs membres, ils étaient sept. Mon corps s’est relâché, je me suis senti en un instant tranquille, et rassuré. Un de plus, et ensemble ils étaient maîtres de la parole. Mais pour cela ils devaient être huit, alors qu’ils n’étaient que sept. Ne m’étais-je pas trompé ? J’ai dû compter à nouveau, et c’était bien cela, il en manquait bien un, il n’y en avait que sept. Alors, je me suis dit que c’était le moment de partir, sans un mot ni même un ultime regard en arrière dans leur direction. Je me suis efforcé de marcher d’un pas le plus normal possible, je ne voulais pas que ce départ fût une fuite, mais au contraire, simplement une décision, la décision qu’il m’avait fallu prendre. Désormais s’ouvrait pour moi une perspective toute neuve, un horizon qui jamais ne m’était apparu aussi large. J’étais devenu léger, il me semblait qu’autour de moi, les regards des passants se voulaient complices de cette inhabituelle légèreté comme me semblaient parfois le témoigner certains sourires sur les visages que je croisais. À la manière de ces moments où l’on est tombé amoureux et qu’autour de vous se matérialise sur la tête des gens l’irréfutable constat de votre bonheur indestructible. J’ai revu alors comment il s’y était pris avec elle et je l’ai haï plus encore car comment osait-il espérer pouvoir la gruger, elle qui, de toute évidence (et il suffisait de considérer sa manière de s’étaler, de sourire, de faire luire dans son regard des promesses de meurtre pour s’en persuader), simulait et n’attendait que le moment propice pour lui planter ses ongles dans les yeux. Une autre fois déjà, il nous avait rejoint. Elle s’était complètement métamorphosée et soudain tellement sereine. Je ne la connaissais pas ainsi. Elle s’est rapprochée de lui sur la banquette et lorsqu’il s’est mis à parler, elle s’est inclinée pour mieux l’écouter, exhibant volontairement la totalité de sa gorge blanche à deux doigts de ses %mains, et il lui a parlé bas à l’oreille, niant ma présence ou comme s’il me savait dans l’incapacité de l’entendre, mais j’entendais tout ce qu’il lui murmurait, absolument tout jusqu’à la moindre nuance syllabique et le plus petit soupçon de souffle, à ce point que ça aurait tout aussi bien pu être à l’orée de mon propre tympan que ses cochoncetés se déposaient. J’avais eu envie de vomir devant une telle indécence, devant cette façon immonde et mouillée qu’il avait eue de susurrer ses mots qui faisait qu’il lui parlait à l’oreille comme s’il parlait à son sexe. J’arrivai à la gare, m’installai en terrasse et pris une bière. Mon sentiment de légèreté s’était évanoui et cette histoire m’obsédait de nouveau. Quelle horreur ! J’ai commandé une autre bière pour faire diversion à mon imagination, et pour que cette comédie cesse. Je me suis efforcé d’observer un étrange couple, au fond, sous les ficus synthétiques, près de la porte vitrée. Elle, l’air très jeune, presque une lycéenne sauf dans le comportement et l’attitude un peu désabusée. Une grande punkette un peu trop sexy et mal accompagnée d’une sorte de flic série B en civil qui lui faisait visiblement des avances. J’ai cru, à l’arrivée de deux vielles dames à la table adjacente, qu’il allait interrompre sa cour rapprochée et pressante mais elle n’a cessé en rien, et peut-être, d’une certaine manière, n’a-t-elle fait que s’affirmer car j’ai senti, alors que j’avalais la première gorgée, qu’il n’était plus loin le moment où ses doigts se déploieraient pour aller agripper cette chair offerte, ou pour le moins qu’il pensait être offerte, ou qu’il pensait être en droit de s’offrir. Au lieu de me distraire de mon histoire que j’avais voulu fuir, j’ai replongé et pensé à ce que disait ce type : maître de la parole ! Et puis quoi encore ? Je songeais teigneux que le jour où il cesserait définitivement d’entraver mon chemin n’était pas pour demain, ni même après-demain. Et ce moment est arrivé. Mais il n’est pas arrivé comme je l’attendais et au moment où je l’attendais. Il y a eu d’abord l’autre homme. Vous souvenez-vous de l’autre homme ? ;