Guy à Francko

 

%Avant même d’avoir le temps de remonter sur le lit j’ai su qu’une agitation allait se produire, en réaction à l’alarme qui avait secoué la totalité des compartiments. J’ai entendu une cavalcade dans le couloir, la porte s’est ouverte, deux molosses nus comme des vers se sont précipités sur moi, m’ont jeté sans ménagement sur le lit, m'ont menotté les poignets de chaque côté du lit avant de disparaître, pendant que l’infirmière, évaporée et impavide, souriait de toutes ses belles dents, son chewing-gum informe et gluant toujours en bouche. « Eh bien, que vous est-il arrivé ? vous avez raté une marche ou quoi ? Ne vous inquiétez pas je vais vous rebrancher tout ça en un rien de temps » « Dites, mademoiselle, je voudrais comprendre, que m’a-t-on fait ? et qui est là derrière le paravent ? et qu’est-ce que fait ce paravent là alors que nous sommes censés être arrivés ? » « Vilain curieux » me dit-elle en faisant exploser son chewing-gum. Puis elle s’est approchée de moi en esquissant un mouvement de danse, une espèce de boléro agrémenté de paso-doble sur lequel on n’avait peu de peine à deviner des accents de samba. Sans son uniforme d’infirmière j’aurais pu croire qu’elle voulait me faire la danse des cinq voiles, telle celle que cette chère Razad aimait à déployer pour ses mamelouks favoris. Elle s’est assise au bord du lit, s’est penchée vers mon oreille en posant une main sur mon bras qu’elle s’est mise à caresser du bout des doigts. « Je ne devrais pas vous le dire, mais celui qui est derrière le paravent n’en a plus pour longtemps » « Qu’est-ce qu’on lui a fait ? et qu’est-ce qu’on m’a fait ? et qu’est-ce que l’on va me faire ? » « Je vais te le dire, vilain petit canard trop curieux », ce disant elle approcha sa langue de mon oreille pour l’y introduire en bavant comme un escargot. « S’il vous plait, mademoiselle, j’ai horreur de ça ». Menotté, je ne pouvais lui résister et les torsions de mon cou destinées à échapper à son organe visqueux n’ont pas eu le moindre effet. « Toi, toi, % toi, tu vas me rendre folle, je ferais tout pour toi, tais-toi ne dis rien, je vais tout te dire. Oh et puis non, je ne te dirai rien mais je vais te faire sortir d’ici ce soir cette nuit et dans une semaine au plus tard, tu me rendras folle, oui folle » et elle enfonça encore sa langue pointue dans mon oreille. « Je vous en prie, pas l’escargot, pas l’escargot, non je vous en supplie ! » «Tais-toi, vilain ou je te fais taire pour toujours ! » et elle a brandi une seringue jaunâtre d’un air menaçant qu’elle a enfoncé dans le bras qu’elle me caressait. Avant de sombrer j’ai pensé : une folle, c’est une folle. Et c’est avec une agilité surprenante que je me suis élevé en l’emportant dans mes bras. Elle était tout aussi démente, mais n’avait plus les mêmes traits, et celle que j’emmenais au long de cette trajectoire en direction d’une destination au centre des nues dont je ne connaissais rien encore était à présent Naomi. J’aurais dû être surpris car jamais une seule fois Naomi n’avait occupé mes pensées depuis sa disparition de ma vie, mais j’ai accepté cette transformation, sans rechigner, comme si j’avais déjà eu la conscience que rien de tout cela n’était vrai et que j’allais me réveiller dans quelques instants. Nous sommes montés, mus par je ne sais quel carburant d’exception, moi étant à la fois le véhicule et le pilote de ce véhicule, elle se serrant contre moi, sa bonnette d’infirmière claquant dans le vent comme les ailes d’un oiseau agile des mers d’ailleurs, sa seringue à la dimension à présent d’une batte de base-ball dont elle fouettait l’air en hurlant des imprécations. « Aya yohé, alala ! » C’était terrifiant, mais en même temps exaltant, et plus nous approchions des nuages, plus je sentais cette exaltation monter en moi, identique sans nul doute à celle qu’avait dû connaître Hans Pfall lors de son périple jusqu’à la lune. « Haoyé hoya lala ! » Elle en bavait de joie, et cette bave sortant de la bouche de Naomi qui ne l’ouvrait que pour y glisser des pastilles m’a fait frissonner. ;