Pluie. Vent. Grisaille. Au-dessus
de ma tête, fenêtres de l'entresol, des laveurs de carreaux en grande discussion
syndicale. Ils hurlent presque du fait du vent et de leur éloignement l'un de
l'autre.../(Ensemble contre le kramik en Belgique, ensemble contre
le saké au Japon, ensemble contre les journalistes analphabètes et stupides,
ensemble contre la poste de Roubaix !)/Anne qui me prête un
catalogue d’Eva Hesse. Elle me parle des fragments de journal qui y figure, le
feuillette devant moi. Pour une raison obscure (un trait, un visage, une couleur
pris au vol), je me sens immédiatement en sympathie avec elle…/Aurore
Janon, aux Lisières. Vernissage intimiste, encore que « vernissage » ne
convienne pas puisque s’agissait de la présentation d’une petite plaquette de
son cru : carnet spiralé porteurs de lignes manuscrites agrémentées de jolies
aquarelles, le tout intitulé Journal imaginaire à Venise…/Une quinzaine
de personnes sages, sauf Baudouin avec qui, à l’étage, j’ai
compulsé un lot d’étonnantes revues d’occasion…/À Flash-Copy, ce
midi, une petite étudiante, qui me trouble énormément. (Forte attirance physique
qui m’a semblé partagée...)/16 h 30 : j'ai encore dans la tête la
pensée de cette petite.../(Ce qui m'a frappé en premier lieu, avant
même que je ne voie son visage, c'est son sous-vêtement, en coton blanc, qui
s'est dévoilé lorsqu'elle s'est penchée, linge pour le moins insolite chez une
jeune fille de son âge, culotte, il me semble bien, qui, mal ajustée, a révélé
une bande de peau du bas de son dos...)/(Regards furtifs sur elle,
sur son corps, quand je savais qu'elle ne regardait pas,
qu'elle ne pouvait me voir...)/(Cette nuit, tombe par hasard sur le
site d'une journaleuse, qui propose le contenu de son journal intime.
Présentation nulle, illisibilité totale, contenu brut du journal.
Sans le moindre intérêt.)/(À plusieurs reprises, j'ai été tenté de
publier l'intégralité de mon journal ; je m'aperçois en découvrant celui d'un(e)
autre que ça n'a strictement aucun intérêt. C'est la littérature qui fait la
différence entre elle et moi...)/Cette nuit, petite visite de
quelques sites faisant partie de la Chaîne Littéraire. Bricolages domestiques,
journals intimes, la petite critique littéraire maison. C'est consternant. (Pas
la moindre invention, banalité des propos, illisibilité à l'écran, lenteur
insupportable de l'ouverture des pages surchargées – qui, dans les trois-quarts
des cas, m'ont fait renoncer à aller plus avant ; paradoxe entre la pointe d'une
technologie et la lenteur archaïque de son fonctionnement, comme s'il fallait 15
secondes d'attente à chaque page tournée d'un livre...)/Petite
visite dans la galerie de V2. C'est la fête : sorcières et toiles d'araignées.
Je souffle : ce n'est pas encore demain que l'on me ravira ma place aux nues,
d'où je contemple, à mille lieues sous moi, la boue des cultures où vagissent,
glapissent et se vautrent petits et grands prétendus congénères et
contemporains... (À quand les berloufes au Texas, et dingus chez les Esquimaux
?)/Je t'aime je t'aime. Remarquable, encore qu'il me semble
que ce qui est dit être un film sur le temps est plutôt une réflexion sur la
mémoire. Claude Rich ne bouge pas d'un poil, tant physiquement que mentalement.
Il est dans son passé tout en restant présent. C'est du rêve. Ou comme un rêve.
Rien jusqu'ici n'a pu prouver que le rêve – ou tout simplement le souvenir à un
degré d'acuité élevé – n'est pas une manière de remonter (ou de redescendre) le
temps. Le temps n'est ici qu'un argument, un prétexte, puisqu'il s'agit
uniquement d'une réflexion sur la pensée… La pensée, c'est le temps. Il n'y a
pas de temps sans pensée et Claude Rich n'est soumis qu'à la volonté et aux
caprices de sa pensée, support et représentante de son passé. Le passé, c'est la
pensée.../Ai acheté ce midi un guide sur Dublin./Ce
matin, émail d'une certaine Morgane qui offre ses charmes par webcam interposée.
« J'aime les hommes et l'amour, je suis excentrique et exhibitionniste.
Je mesure 1, 73 m et je suis brune. Rejoignez-moi. » Tout un
programme.../Tarot chez Sylvie, dans sa nouvelle demeure, et plus
précisément, dans le soleil du magnifique entrepôt qui poursuit son
rez-de-chaussée, Sylvie remontée à bloc, en grande forme…/(Bon
premier jusqu'à 18 h 30, j'ai été coiffé au poteau par Patrick à
cause de deux gardes contre successives. Le chien !...)/Passage
des mérulistes hier. Poussière dans toute la maison ; la cuisine et le cabinet
de toilette réduits à néant. Je les ai vus ce matin : une nouvelle fuite
décelée, le toit de la cuisine à refaire, la porte de la cour à changer. Quoi
d'autre ?/Partons ce soir, après la répétition, direction Beauvais où nous
passerons la nuit. Départ demain matin, 9 h 35, aéroport de Beauvais, direction
Dublin.../10 h 10. Survolons la mer. Moutons, soleil./14 h 30.
Sommet de la tour Martello après un passage dans la chambre circulaire où J.
aurait dormi. Vestiges : table, lit, tasses etc. Ici, soleil, tjs.
Vue sur Sandycove, D. L. et Dublin au loin. Vent léger.
Ici, il y a quelque 80 années, Joyce est venu et je m’en fous.../Je viens de
relire le livret pour Patrick. Je crois que c'est dans les livrets-anniversaire
qu'éclate dans toute sa plénitude mon ego. C'est un cadeau, certes, mais c'est
moi qui m'offre, moi que j'offre sous la forme d'un écrit qui ne parle que de
moi. Mais d'une certaine manière, c'est peut-être le plus beau (ou du moins le
plus juste) des cadeaux : de moi à lui, à elle, entièrement, par le recoupement
et la concordance des temps.../Howth. Pour la première fois,
impression enfin d'être en Irlande : paysage et intempéries. Après le fresh cod
copieux, une Guinness au Weelhouse, sur le port, pub animé, pêcheur qui chante
et bonshommes enjoués. Mais un immense écran TV diffuse des nouvelles du monde.
Qu'est-ce que nous avons à faire du monde ?/Comment cela va-t-il se
passer avec D*** ? Pour l'heure, nous ne l'avons que peu vue. Elle a passé la
journée d'hier avec sa sœur qui, énigmatiquement, se trouve désormais en France
à vivre avec un Français ! D'où sort-il ? Comment s'est-elle mise si vite avec
un inconnu ?... Hier matin, j'étais au piano. Elle a tout à coup surgi devant
moi, comme elle sait si bien le faire (à croire qu'elle se déplace en
lévitation), pour me dire qu'elle allait à l'église avec sa sœur et qu'elle
passerait la journée avec elle. Très bien. Mais pourquoi me dire cela ? Je la
regarde, souris, sans parvenir à croire à la réalité de ce qu'elle porte, robe
du dimanche dont la hideur est proprement indescriptible, robe d'un autre temps,
d'un autre monde, celui du fond de la campagne polonaise il y a cinquante ans !
Je n'en reviens pas. Puis considère son maquillage, couche de fond de teint mal
appliquée. Elle a 27 ans, en paraît 70 dans cette mise qui ici, à notre époque,
est un accoutrement. Elle va donc à l'église. En fin d'après-midi, lorsque je
suis rentré dans sa chambre pour tenter de régler le téléviseur (en vain), j'ai
noté, sur son lit, à côté de la télécommande, un chapelet posé sur un
livre blanc qui m'a semblé être un missel. Davantage que croyante, elle est
pieuse. Voilà qui parachève le tableau.../TGV. Midi. Une jolie
brunette à côté de moi qui, après avoir parcouru distraitement quelques pages
d’un Folio dont je n’ai pu saisir le titre, s’attaque à un sandwich
SNCF d’importance. (Derrière moi, un mobiliste acharné refait le
monde par coups de pourcentages et de réunions avariées.)/J'hésite
entre la blanquette de veau et les tendrons de veau à l'oseille. Je verrai ce
soir.../(À ma grande stupéfaction et colère, la carte que j'avais
envoyée à Susan n'est pas arrivée hier comme, en toute logique, elle devait le
faire : je l'ai postée dimanche soir dans la boîte en face de chez nous !
C'est dire qu'il faut près de 72 heures pour qu'une lettre fasse deux kilomètres
à Roubaix : le premier jusqu'à la poste, le second jusqu'à notre porte.
Que peut-on espérer d'une ville pareille ?)/Les deux petites
collines qui soulignent désormais sa poitrine. Délice. Mes doigts
dessus comme ceux d'un Savoyard habile et fébrile.../Honfleur.
Les Maisons Satie. Le ravissement de la Ferme de la Grande Cour.
L’Italienne félinienne. La Côte de Grâce où l’on suspend les
voiliers aux nefs…/Mont St Michel. Le Mouton Blanc.
Vue arrière sur la baie. Kir-mûres excellent et copieux, dont Susan
reprend un second, tandis qu’à côté de nous, deux jeunes
Américaines affectent de penser. Il n’y a que nous quatre sur la terrasse…/Sur
la tapisserie, certains chevaux, peu, très peu, sont représentés en érection. Au
départ, je pensais qu’il ne s’agissait que de celui de Guillaume. Mais un examen
plus approfondi me prouvera qu’il n’en est rien. Alors ?
Penser à consulter mes manuels sur le sujet (j’ai dû le savoir, à
une époque, et ai tout oublié !)…/(Quoi qu’on en dise, manger sur
la digue à Étretat avec un œil sur elle qui rit et l’autre sur l’arche que la
nuit engloutit, est une quasi-jouissance…)