Nuit de samedi à dimanche, il est 3 h 00, je
suis dans la cuisine, j'achève de mettre de l'ordre après la partie de tarot.
Susan est couchée. Rentre Paul qui me tend un sachet de plastique et me dit : «
Joyeux Noël » avec le plus grand sérieux du monde. « Je suis désolé. Je ne
t'avais rien acheté pour Noël. J'espère que ça te plaira. » Je sors du sachet de
chez Allegro un recueil de partitions. « Je suis désolé, je ne savais pas
dans quoi l'emballer. » C'est le premier volume des préludes et fugues de Bach
dont je possède le second. La veille, en écoutant le disque de Richter, j'avais
regretté de ne pas avoir les premières partitions pour suivre certaines des
pièces... Il part se coucher. Au matin, il partait pour l'Angleterre pour le
second trimestre. Je ne l'ai pas revu. Hier soir, il appelait sa mère pour lui
dire qu'il était bien arrivé et lui a demandé si le cadeau me plaisait.../ Je
broie du noir. Je tourne en rond dans cette salle où je me sens confiné (où je
suis confiné !), où j'attends « l'heure de la sortie ». Je viens
d'allumer ma sixième cigarette. Il est 15 h 30. C'est exceptionnel. Je suis
incapable de porter mon attention sur quoi que ce soit, et je m'étonne du reste
d'avoir avalé d'une seule traite ce matin Le Souffle au cœur. Mais à
présent, j'attends. Me laisse aller à cette espèce d'engourdissement mental que,
faute de mieux et provisoirement, j'appellerai bourdon, cafard (peut-être pour
éviter peur, mélancolie, dépression, angoisse, détresse...). Je pense. Assis, en
fumant, comme aux « beaux jours » de ma perdition avec V***... /(Onze cigarettes
hier. J'en ressens les effets...)/Vendredi soir : expo à Liévin, collective,
avec, entre autres, Janusz, raison du déplacement. C'est la reprise d'une
exposition qui avait eu lieu il y a quelques mois à Marseille. C'était à Liévin,
au centre Arc-en-ciel (cinéma, théâtre, galerie, restaurant), sur la place du
centre-ville... Ma surprise à la vue du changement de la ville où je n'avais pas
mis les pieds depuis une bonne dizaine d'années. Sommes arrivés sur le tard.
Hervé (étrangement euphorique), Det l'F (soucieux, mais animé, et qui me parlera
d'une bande de types au centre d'art d'Ixelles qui publient un magazine),
Didier, Francko, Francine (forme grandissante). Superbe travail de Janusz à
partir de cette terrible photographie d'une fouille nazie publiée dans un
magazine polonais en 1947 : la photographie prise dans les traits et les lignes
de motifs de papier peint, noir et blanc, saisissant et fascinant. Autres
travaux non sans intérêt. Repas à la Taverne San Lorenzo à Lens. Joyeux,
animé./Ai rattrapé un peu de mon retard sur le Livre et la mise à jour du
Site. Quant à sa version imprimée, elle est en lecture chez Susan. Dès
demain, je prépare les épreuves... Passant tout ce temps face à l'écran, à
organiser et à agencer de l'abstraction et de la virtualité, je me suis posé
cette question : « Qu'est-ce que tout cela a à voir avec l'écriture ? » Puis : «
Est-ce encore de l'écriture ? » J'ai pris peur tout à coup, puis en suis venu à
cette réponse définitive : « Oui. D'une autre manière, d'une forme nouvelle.
Mais toujours de l'écriture ! » Ouf !.../Je m'attaque sur-le-champ à ma Lekcja
Siódma de polonais... (Robert Siodmak est-ce Robert le Septième ?)/20 h 00.
Église Ste Catherine.
Lille. Concert de musique baroque.
Philippe Herreweghe. Église comble. Des Allemands derrière nous, des Flamands à
gauche. Visage typé de ce genre de public – les Français étant inclus. Que l'on
pourrait qualifier d' « intellectuels ». Notamment chez les jeunes gens dont la
grande majorité porte des lunettes.
Quel rapport y a-t-il entre ce milieu social et la déficience visuelle ? Ou
est-ce un genre ?.../À 17 h 00, partons pour Beauvais, pour demain nous rendre à
Paris où Susan a un meeting. Rentrons dimanche soir.../Week-end passé à Paris.
Voir notes de calepin. J'y ajouterai la boutique en face de l'hôtel, que l'on
voyait depuis la fenêtre de notre chambre. Vente de vêtements féminins
d'occasion. Principalement. Quelques livres, des CD, diverses bricoles et
breloques. La patronne, ronde, se prénommant Babette, prise à partie par une
habituée qui a une querelle avec une autre cliente au sujet de l'importance des
homosexuels dans sa rue (dont j'ai oublié le nom). J'y trouve un Librio de Sade,
un Barthes par lui-même.../Sur la route du retour, discussion avec Susan au
sujet de ce qu'elle avait entendu sur le site Proust : Ste Beuve, l'homme et
l'écrivain, la position de Proust à ce sujet. Puis du senti, du ressenti. « On
ne peut bien formuler et faire passer que ce que l'on a soi-même ressenti. » Je
dis non. On peut tout imaginer. On peut écrire sur ce que l'on ne ressent pas,
sur ce que l'on n'a pas ressenti. Je lui cite l'exemple d'Emma. Elle me
dit que, justement, cela sonne faux ; que l'on sent que cela n'a pas été
ressenti. Que c'est froid, distant. À la différence de Proust justement chez qui
l'on sent le ressenti, l'éprouvé. Je penche pour l'inverse (mais en fait la
chose ne m'était pas venue à l'esprit : l'éprouvé chez Proust), soit que pour
moi Proust est extrêmement cérébral, intellectuel quand bien même les mots, la
formulation ne le sont pas. C'est, en définitive, une écriture de distance, de
froideur ; d'analyse précise et implacable qui a plus à voir avec la réflexion
qu'avec l'émotion et le vécu. Sa vue sur l'amour, la jalousie est quasi médicale
et il aurait très bien pu ne pas les éprouver, ou du moins pas à ce degré-là, et
donc les extrapoler.../Sur le billet d'entrée du Musée Rodin : « Toucher, c'est
salir » qui, en bon anglais, se traduit par : « Please do not touch. » Toucher,
c'est salir, beau précepte à l'allure de dicton... Mon billet porte le numéro
97309.../Violent accès de fatigue hier soir. Qui m'a abattu, tant physiquement
que mentalement. Tension. Rage. Dégoût. Et depuis ce matin, malaises divers
liées à la cigarette. Dont je n'augmente pourtant pas la consommation. Cycle.
J'y suis accoutumé. Sans bien comprendre à quoi il est dû.../Je note dans la
grammaire grecque ce mot qui me réjouit :
o upokrites,
l'acteur, soit l'hypocrite (celui qui répond, qui donne la réplique)./ Dimanche,
déjà achevé, nous sommes dans la nuit : repas chez ma mère avec Susan, Dorothée,
Annie, ma mère qui de nouveau, montre des signes inquiétants de somnolence et de
difficultés à parler, les deux étant liés. Retour à 17 h 00. Puis passage chez
Wanda et Alexis pour l'emprunt du chargeur de batterie de Francko (la Fiat
visitée dans la nuit, plafonniers allumés qui ont déchargés la batterie, merci).
Discussion autour d'un thé accompagné de brioche au miel, le tout posé sur le
puzzle qu'ils ont entamé cette semaine : cadeau, les Noces de Cana de
Veronese, 2 000 pièces. J'ai repensé à cette période lointaine où Liliane et moi
nous étions lancés dans la reconstitution d'un 5 000 pièces, fête champêtre d'un
Hollandais du XVIe dont j'oublie toujours le nom. Du coup, l'idée et
l'envie me sont revenues d'en entamer un, 2 000 ou 3 000 pièces (attraction
insolite de ce drôle de jeu, passe-temps pur dont la vertu principale, pour
reprendre les mots de Wanda, est de « vider la tête »)./ (toujours le réflexe
d'ajouter un quatrième 0 à 2 000...)/ (À combien suis-je de ma mort ?)/ 22 h 00
: petite troupe qui ne se décide guère à grossir ; je fais la connaissance de
Mohammed El Baz qui, apprenant qui je suis, exulte littéralement : je lui avais
envoyé une série de livrets dans le cadre de ma campagne promotionnelle, qui
l'avaient bouleversé, auxquels il ne pouvait s'abonner faute d'argent à ce
moment-là. Bouleversé, car il y avait vu un tel désespoir ! De quoi parle-t-il ?
Il ne s'en souvient pas, me tape sur l'épaule, me serre la main, n'en revient
pas de se trouver face à cette sorte de Messie qu'à ce moment-là j'incarnais à
ses yeux. Je tâche de mettre un frein à son débordement d'enthousiasme, de joie
littérale, ne sachant quelle part d'authenticité il faut y voir, tâchant de même
à me faire à son physique qui est à l'exact opposé de celui que je lui imaginais
: je le voyais d'un certain âge, grand, trapu, réservé, voire bourru ; il est
jeune, de taille moyenne, très mince et expansif…/C'est extraordinaire : lorsque
j'étais enfant, je me disais qu'en l'an 2000, j'aurais 47 ans et que je serais
vieux, et aujourd'hui que nous y sommes et que je fais le calcul, je m'aperçois
que je n'en ai que 40. Où est la faille ?/ Midi. Je suis à la caisse du Furet où
je viens d'acheter un jeu de tarot pour demain. Derrière moi survient Thierry.
Nous allons prendre un café au Flunch. Il me parle de Véronique, des femmes
qu’il a connues. Nous rions…